Le premier fut un homme, le second un vieillard. On n'y prêta pas attention. Les décès se succédèrent. On commença à s'interroger.
Ce fut lorsqu'un dixième homme périt, dans l'auberge des Trois Écus, qu'on se décida à réagir. Le corps fut brûlé, les portes de la cité se fermèrent.
Ainsi la Peste s'abattit sur Taâk'in.
À une vitesse effroyable, elle s'étendit à tous les quartiers de la ville. Elle se glissait sous les portes, s'installait dans les maisons. Les morts se multiplièrent. Pas une classe ne fut épargnée. Les mendiants mourraient aussi bien que les bourgeois, et tous étaient égaux dans leurs derniers instants d'agonie.
Les rats envahirent les rues. Il filaient, nuée grouillante, entre les jambes de quelques irréductibles passants, et venait arracher des morceaux de chairs aux cadavres qui jonchaient le sol.
Les médecins avaient abandonné leur habit blanc, et parcouraient les ruelles parés d'une longue robe noire, et leur visage se terrait derrière un masque hideux, semblable à un bec de corbeau d'ivoire ou de porcelaine. Agitant leur bâton duquel pendait une couronne de grelots, ils administraient tantôt des élixirs bien dérisoires, tantôt des poisons salvateurs. Leur médecine était inefficace face à ce fléau.
Les femmes pleuraient, serrant dans leurs bras les petits cadavres de leurs enfants. Certaines s'arrachaient les cheveux, se jetaient contre les portes... De temps à autre, des brancardiers chauves vêtus de gris emportaient les corps les plus pourrissants. Trois grands brasiers avaient été allumés dans la ville. Ils y jetaient les cadavres, et les flammes, léchant les chairs malades, exhalaient une odeur putride, qui emplissait les moindres ruelles. Une épaisse fumée noire s'échappait de ces charniers, et avait fini par masquer le soleil. Au dessus des têtes, c'était un ciel gris sombre, déchiré par le vol des corbeaux, et en levant les yeux, on croyait voir la Mort elle même.
Partout on se lamentait. La plupart des commerces fermèrent. Chacun maudissait les Dieux, et les grands de la Corporation, qui pendant ce temps, se faisait discrets. Le Grand Tournoi avait été annulé. Personne ne s'en soucia.
Ainsi mourrait la Cité Marchande.