La duperie [Terminée]

Il n'existait dans Taâk'in qu'une grande rue commerçante d'où s'échappaient les enchevêtrement labyrinthiques de ruelles. Lorsqu'une quelconque personne, non habituée aux lieux, sortait de la taverne, il ne faisait aucun doute qu'elle se perdrait en quelques pas malencontreux. Vaati fut de ceux qui respectent les adages et une fois sorti de la taverne, il voulut voir s'il parvenait à rattraper Lucius. Il n'y parvint jamais, le nécromancien était parti ailleurs emportant son lourd silence et le secret de la rixe avec lui. Vaati et sa candeur sortirent donc par la porte [magnifique hendiadys], notre mage souhaita prendre la rue la plus proche, un sombre passage où la lumière ne parvenait que par les deux extrémités. Vaati suivit donc cette itinéraire et arriva sur une place étrange où jouait un musicien des rues; il prit alors le chemin vers la bibliothèque et passa à ses abords. Puis, contournant l'édifice, il parvint devant une arcade de rue relativement large qu'il dépassa avec une certaine crainte, convaincu que Lucius était passé par ces ruelles. Devant un autre édifice assez large qui devait être un ancien hangar portuaire, notre héros prit à droite et trouva alors la mer du port durant quelques secondes juste avant de reprendre une rue montante. Néanmoins, tout cela ne menait à rien et Vaati commencait donc à désespérer en tournant une énième fois vers la gauche...

Il fallut se rendre à l'évidence, Vaati venait de se perdre dans une ville qu'il ne connaissait pas et qu'il ne prenait d'ailleurs pas la peine de connaître. Autour de lui, il n'y avait personne, la peste faisait fuir les gens, tout le monde voulait quitter la ville, notre héros inclus ! Il avança encore jusqu'à se trouver face à une des murailles de la ville, haute, infranchissable, ses portes à jamais fermées pour cause d'épidémie. Vaati voulut repartir mais il trébucha sur un pavé mal enfoncé et tomba à la renverse sur un sol froid malgré le soleil. Cette journée, quelle plaie infâme ! Il ne pouvait plus rester enfermé ici. Il était venu pour participer au tournoi et n'avait pas pu pour cause de retard. Il avait voulu rencontrer des mages puissants, des auteurs de grandiloquents livres et palimpsestes, de brillants philosophes aux apophtegmes puissant et plein de sens. Il n'avait trouvé que quelques vieux loups édentés, des aventuriers belliqueux et stupides ou des nécromanciens fuyards ! Cela suffisait, il fallait sortir, il devait quitter la ville, se rendre dans la plaine, aller là où l'aventure le mènerait, progresser un peu, explorer les fin fond des royaumes, retourner à Kalencia, s'enfoncer vers Simedän, voir les pics neigeux, combattre et apprendre, plus rien n'importait ! La fuite et rien d'autre, Vaati y aspirait ! Il lui restait sur lui toutes les affaires qu'il avait récupéré à l'auberge et notamment son livre, la bible des mages qu'il avait presque fini de recopier. Il devait le rendre, cela ne faisait rien, ce livre ne pouvait être compris par des incultes, au diable les maléfices de cette ville ! Un passeur devait bien exercé dans cette ville...

[Attention Vaati, si tu sort tout juste de l'auberge alors la nuit est déjà assez avancée Smile

]

Alors que Vaati venait tout juste de tomber, il ressentit la présence d'un homme étrange debout à coté de lui. L'homme était trapu, chauve, avec une paire de lorgon d'une laideur absolue et était vétu d'une longue cape poussièreuse et déchiré. Il lui tendit une main crasseuse.

"Besoin d'aide, l'ami?" demanda t'il d'une voix aigue et cassée.

Il ne faut pas chercher des ennuis dans des grandes villes, c'est ce que Vaati pensa lorsqu'un homme à la fois élégant et piteusement habillé l'aborda. Il se mit à ses côtés, il portait un des équipements les plus farfelus mais également les plus poussiéreux, de la cape jusqu'au plus profond de son lorgnon. Il n'était pas un homme honnête comme Vaati les souhaitait ou les rencontrait tout les jours, c'était ce genre d'escroc à la fois puissamment servile à sa cause et tout aussi indépendant que le plus parfait des aventuriers. Rien ne pouvait donc amener notre mage à lui faire confiance d'autant que son attitude laissait pressentir les ennuis. Lorsqu'une aide fut proposée à notre héros, il ne douta plus des buts lucratifs du personnage car sa voix était celle de la villosité et de la perfidie. Mais quelque chose laissait bien sûr entendre qu'il pouvait aussi être d'une grande aide pour notre mage qui flaira et la fourberie et le plan parfait à son évasion.

Vaati se releva d'un bon, rajusta ses divers habits, remis ses bottes en place et épousseta les ailes qui y étaient accrochées. Puis, il se tourna vers l'intéressé et annonça en langue commune :

Bien sûr que vous pouvez m'aider si vous avez un moyen de franchir ces immondes murs qui me détruisent peu à peu les sens et me plongent dans la folie la plus totale !

Il pouvait désormais attendre les réponses, l'affaire venait d'être mise en évidence, restait à voir si les pensées de Vaati étaient justes !

L'homme fût relativement surpris par la proposition de Vaati, mais après quelques secondes d'étonnement, son visage pris une expression satisfaite et, toujours de sa voix étrange, l'homme répondit :

"Quitter Taâk'in? Monsieur vous êtes un homme chanceux! Je me présente, Marcus Merenar, homme d'affaire et gentleman! Je comptais justement moi même partir d'ici peu et je suis content de savoir que j'aurais de la compagnie! Bien sûr, c'est une entreprise risquée mais tant que vous êtes avec moi, vous ne risquez rien! Par contre et bien sûr... enfin vous savez... Toute chose a un prix..."

Nous ne pouvons penser que Vaati eu vu faux dans ce cas, il reconnaissait les escrocs et les voleurs et voilà pourquoi il pouvait bien sûr accepter toutes les offres venant même des plus vils individus. Prenant son courage à deux mains, Vaati se mit au devoir de préparer la réponse qui allait venir à la proposition. il apprit alors que celui-ci était un gentleman zélé qui voulait lui aussi quitter la capitale cernée par la maladie. Il prit soin de lui faire part de son projet ce qui n'étonna pas Vaati. Vint enfin le plus important choix à faire pour notre héros lorsque l'individu après avoir donné son nom, Marcus Merenar, aborda sa préoccupation principale, la rémunération. Nonobstant le fait que Vaati ne souhaitait pas entretenir de conflits directs entre cette personne et sa propre personne; il ne manquait pas d'argent, la valeur pécuniaire n'importait que peu mais il fallait tout de même qu'elle ne s'élève pas de trop. L'interlope ne pouvait être une personne si mauvaise pour pouvoir sortir et vouloir sortir, il devait simplement être intéressé. Après tout, l'oblatif qu'était Vaati devait bien étendre son attitude sur ses congénères, il ne fallait pas s'arrudir pour quelques noblons. En quittant les bas fonds de la ville, notre héros se laisserait quelque peu aller à l'amimétobie, l'opsimathie ne l'avait jamais gagnée, il lui fallait la connaissance immédiate, une connaissance qui se faisait de plus en plus rare et tardive dans cette ville. Vaati laissa donc poindre son envie de sortir des murailles qu'il vivait comme une marance, un futur obit :

Il s'agit d'un prix vous dites ? Malepeste, je ne tiens pas à vous voir vous porter à l'inflation messire, quelques noblons seraient acceptés dans la mesure du raisonnable et de la gaieté. Vous êtes un marjolet, vous en conviendrez mais je tiens à rester dans des affaires tout à fait correctes. En tant que vendeur de Mithridate je connais vos méthodes maupiteuses et accepte le marchandage. Quand quitterions-nous donc la ville et où ? Quelle serait la somme escomptée ? Je vous attends messire...

Alors que Vaati parlait, l'homme, le regardant toujours à travers ses culs de bouteilles, se grattait la nuque de l'air de celui qui ne saisit qu'un mot sur deux. Néanmoins, les mots qu'il comprit lui suffirent. Mais il se remit rapidement à sourire, dévoilant des dents ressemblant de manière assez comiques à celles d'un lapin.

"Disons 40 noblons et nous serons quittes, monseigneur! Nous partirons quand bon vous semblera, je peux même vous emmener dans l'instant si vous le souhaitez... En fait, j'aimerais autant que l'on parte le plus tôt possible, car en théorie de dois partir demain après midi... Vous comprenez... "

Admettons que vous fussiez auprès de ce Marcus, quel serait votre réaction à la demande de 40 noblons pour s'extirper de la gangue des murailles ? Cela dépendrait bien sûr de la richesse de votre personne mais aussi de sa capacité d'analyse et de confiance ainsi que des circonstances de la rencontre. Vaati était de ceux que la méfiance en maraude n'épargnait jamais et pourtant il accepta le marché ce jour là, pour vivre dans un ailleurs et gagner en expérience. La nuit avançait, la lune ne se levait pas, les nuages continuait leur dérivation vers la mer et le vent ne frappait plus la cité pour laisser s'installer les délétères vapeurs pestilentielles de la maladie. Les bubons n'impressionnaient plus Vaati qui se conduisait en parfait gentilhomme en face des purulents immondices accolés à la peau comme des sangsues obèses. Depuis l'épidémie, les cadavres devait bien quitter la ville pour rejoindre le cimetière et personne hormis les fossoyeurs immunisés et profondément intéressés par leur activité lucrative allaient et venaient ou bon leur semblait. Notre héros douta d'ailleurs de la zone d'ensevelissement et pensa à une fosse commune loin de la ville, près de la plage. Les rats devaient un jour quitter le navire taquinés pas les puces, aujourd'hui, même les puces fuyaient leur propre fléau, la peste misérable qui amenait le Camarade à chaque porte.

Vaati extirpa de sa poche une belle bourse de cuir et en retira 30 noblons. Il regarda le personnage aux verres démesurés et s'empressa d'annoncer :

Gageons que nous sortions dès maintenant, je vous donne trente de ces pièces sur les quarante voulues, nous sortons sans anicroches et je vous donne les dix manquantes. Cela devrait vous convenir car en cas de problème, l'argent vous revient et vous êtes vainqueur. En cas de combat, je suis prêt à me battre mais pas de mauvais tour, si nous sommes pris dans une entourloupe, vous êtes à mes côtés, vous y restez !

Le ton vindicatif ne pouvait que soumettre les conditions, le passeur devait bien accepter ou Vaati en avait terminé avec son ambition de fuite...

Le passeur observa fébrilement Vaati sortir l'argent de sa bourse. Il le regarda un instant, puis la bourse, puis à nouveau Vaati. Au bout d'un long instant, il se décida à parler.

"Gardez l'argent monsieur, comme preuve de ma bonne foi... Si nous échouons dans notre fuite mais que vous survivez, vous en aurez plus besoin que moi... Vous me paierez quand nous serons dehors... Veuillez me suivre s'il vous plait, nous allons vers la plage."

Puis, d'une démarche clauquediquante, le petit homme parti en direction de la dîte plage.

Le plus étonnant arriva aux oreilles de Vaati à ce moment. Il était convaincu que sa démarche auprès de Marcus aurait pour dramatique effet de créer des tensions voir de rompre ses faibles chances de fuite. Le personnage ne pouvait en effet que refuser l'accord tacite et quitter la rue tout en insultant notre mage de noms plus ou moins immondes. Il ne le fit pas, non point que cela parut incroyable à Vaati mais il ne pouvait cependant vraiment saisir l'ampleur de l'acte du passeur. En effet, celui-ci venez de lui dire de garder son argent et de le laisser dans la bourse, les paiements viendraient plus tard ! Notre mage fut impressionné par la bienveillance non apparente du gentleman usé. Il venait de partir vers la plage par la rue de la flèche et acceptait de partir dès à présent. Cet homme était une véritable perle que Vaati se félicitait d'avoir déniché. Devant le départ de l'individu, Vaati se mit vraiment sur son séant, remua les pieds et s'élança à sa suite. Il tourna rue des murailles hautes, arriva place du chien, repartit vers la place du loup tout en délaissant les premières échoppes des marchands ouvertes jusqu'à tard dans la nuit. Bientôt, ou bientôt le jour verrait le départ de Vaati, la fin de la marance, le début d'une journée lourde sans anicroche. Vaati se retourna vers la rue et annonça avec un grand sourire digne de la Faucheuse pour une grande occasion :

A deo Taâk'in, miasmae vos saluteo ! Fortuna ducit meos passos ! A deo ! Vivete in pesta, vivamus in sapienta !

Et sur ces paroles fantastiques, Vaati courut rejoindre Marcus, la joie au coeur, la folie des jours heureux dans les yeux et l'âme ardente du savoir !

Vaati gambadait joyeusement dans les rues de Taâk'in, visiblement content de quitter la ville. Il n'avait pas prévu qu'il pouvait y avoir des complications. Alors qu'il suivait Marcus à l'angle d'une rue, le silence de la nuit fût brisé par un cri.

"Attrapez le, les gars!!"

A ce cris, deux, trois, peut être quatres ou cinq hommes, (comment les nombrer dans l'obscurité?) surgirent sur le pauvre marchand, l'un d'entre eux l'attrapant par un bras et lui assènant un violent coup de tête au visage, ne provoquant, par chance, que des blessures très légère. Si le mage n'agissait pas, bientôt, il serait maitrisé.

Il y a plusieurs choses dans la vie qui peuvent mettre une personne d'humeur enjouée dans un état de rage consternant. Le vol d'un objet cher en est une, la trahison en était une autre. Maintenant, imaginez donc que les deux fassent un tout extrêmement navrant, vous aurez alors l'état de fureur qui s'empara de Vaati au moment de l'attaque. Alors qu'il avançait dans les rues de Taâk'in pour suivre le passeur, notre héros ne prêta point attention à un silence inquiétant en pleine nuit, seuls les pas de Marcus raisonnaient au loin, déjà trop loin selon Vaati. Devant la violence du silence, Vaati s'arrêta à l'angle d'une rue et fit une très légère erreur en restant sur place au moment où le cri d'attaque retentit. L'interjection fut calamiteuse pour notre héros et il fut soudain attrapé au bras, jeté, maltraité et reçu une rapide attaque au visage qui ne lui infligea qu'un léger et bref étourdissement. Devant le tumulte de la situation, Vaati fut bien vite maîtrisé par son manque de virulence et son horreur de la souffrance obligatoire. Il dut néanmoins admettre que son inaction allait lui causer des torts nombreux.

Notre héros pensa fort vite, il vit Marcus dans ses pensées, se molesta mentalement de lui avoir fait confiance avec tant de facilité et se dit que la ville était à franchement parlé le pire lieu où se trouver. Puis, il vit sa bourse pleine de noblons chatoyants et se dit que la forte duperie lui avait été fâcheuse. Enfin, il entraperçu au niveau de sa doublure de cape le livre où il avait puisé des sorts nombreux et puissants, jamais il ne se laisserait abattre, les pendards, créatures des bas-fonds, malespeste ! Rien ne pouvait détruire les idées de Vaati. Il se remémorait la manière dont il avait été violenté pour cause de son ouvrage jugé trop engagé autrefois, comment il avait été tabassé et n'avait su combattre face au danger. La Terreur, amie de voyage était revenu. Autrefois sa victoire avait été grande, pitoyable pour notre mage, désormais, l'heure de la revanche avait sonné et le glas qui auparavant sonnait allait être brisé. La défense, Vaati la connaissait et la gardait au plus profond de ses capacités cognitives. Sa rage se décupla et la vengeance douce-amère libéra alors un être nouveau. Corentin Vaati baissa le visage, lorsqu'il le releva, il était devenu son penchant opposé, Nitneroc Itaav avait enfin fait surface.

Cette ombre était habillée de violet et de noir, sur sa tête s'élevait une sombre idole, auréole du démon violent qui sommeillait en Vaati. Ses cheveux longs violacés et translucides dégageaient la grande part des ténèbres. Un rictus mauvais, sombre et cruel balafrait son visage et ses mains crénelées de veines semblaient battre d'une pulsion bestiale. Sa cape, elle-même devenue violette, projetait un voile noir de décrépitude aux alentours. On eu crut que son corps excrétait l'aura des massacres les plus infâmes. Enfin, Nitneroc Itaav avait sur le front une marque représentant un oeil ailé qui crépitait naturellement au milieu de la nuit. Son visage paressait à moitié caché par une longue capuche qui se rabattait au grès du vent. Ce personnage n'était pas plus puissant que Vaati, il était juste un opposé froid et machiavélique, dépourvu de conscience et d'esprit angélique. Vaati avait disparu et laissait la place au monstre qui se terrait en son intérieur, telle la tique cachée au plus profond du pelage qui se gorge de sang avant de tomber. La tique avait chu, pour le pire et le plus violent. Vaati regarda ses assaillants noyés dans l'ombre et vociféra alors :

Oxonet, venio inferni meos hosties, pathiomini et vivamus, flete et obitete, perituri ! !

Et Nitneroc commença alors à murmurer des mots sonnant à l'oreille comme des guimbardes cassées...

Les yeux de Nitneroc c'était finalement habitués à l'obscurité et il pouvait maintenant distinguer dans le voile bleuté de la nuit quatres assaillants en haillons armés de poignards affutés comme des dents de loups. L'un d'entre eux, celui qui était derrière le mage, tenta de le poignarder dans le dos en bondissant vers lui et en brandissant son arme. Par malchance pour lui, il avait heurté un vieu pavé branlant ce qui, si cela n'avait pas entravé son attaque, permit à Itaav de comprendre ce qui se passait dans son dos et lui laissait une fraction de seconde pour agir.

La perception du monde qui l'entourait avait changé pour Itaav qui voyait désormais des agressions et des agresseurs potentiels dans son entourage, le danger était à ses côtés à tout moment et il ne voyait que la manière la plus violente de répondre à ce danger. Il distingua dans la pénombre quatre gredins armés de poignards aiguisés et habillés de loques déchirées et puantes. Des rescapés de la peste ou des brigands, des monstres sans âmes ou des égarés, Vaati ne s'en souciait guère depuis qu'il avait cédé à Nitneroc. De grandes ombres se projetait dans ses yeux tandis qu'un regard flou se posait sur les assaillants, un regard embrumé de haine et de larmes de colère qui tombaient sur le sol comme des perles acides rongeant l'esprit et faisant place à la lumière attrayante des froids ténèbres, une lumière qui ne brillait que pour les yeux du mal, une lumière maudite et pourtant si proche du monde réel. Itaav était entre deux mondes, l'un où il perdait conscience du temps et de l'espace ne se concentrant que sur la menace et le monde réel où il ne parvenait plus à se raccrocher dans sa hargne...

Un coup fut lancé et notre mage métamorphosé entendit alors les quelques pas sonnant qui partirent pour trébucher sur un étrange objet. Il se retourna pour voir un brigand au pied ayant tapé dans un pavé mal enfoncé de la rue. Sa rage n'en fut que décuplée, on l'attaquait par derrière, il ne fallait pas réfléchir mais lancer un sort, quelque chose de particulièrement vil et dangereux pour ces adversaires. Itaav vit alors s'allumer devant ses mains la lumière de la haine, celle du sort qu'il avait préparé avant même de s'en apercevoir; d'ordinaire, Vaati aurait empêché cette violence, pas Itaav qui se souvenait des sorts du palimpseste qu'il avait durement et avec dévouement recopié. Il prit une voix rauque et pleine de fureur, la géhenne intérieure qui l'avait prise le torturait, lui ronger l'âme, bientôt la métamorphose aurait totalement pris possession du corps pour laisser lace à Itaav et ce serait la fin des coups retenus. La sauvagerie venait, lentement, puis plus rapidement, intense, si belle, si froide et si onctueuse, la souffrance et la géhenne intérieure allait sortir et se précipiter sur les ennemis, les entités machiavélique et ce serait un chef-d'oeuvre, une des plus belle pièce de la magie noire, une symphonie à elle seule, une rhapsodie enjouée de condamnation et de cadavre éventrés, l'apothéose et l'acmé du bonheur satanique ! Itaav vociféra alors :

Caelum abbatuit supra capitem, Terra trepidit circa eos, Fulgures battuit inter eos et in eos, infra eos haec tumbae aperit ! Sapiens vene !

C'est alors que devant les incantations de Nineroc se forma au dessus de sa tête une colonne de fumée noirâtre à l'odeur quelconque qui crépita un léger moment avant de laisser entrevoir une forme qui se dessinait dans cette brume artificielle. Au terme d'une détonation sourde et inquiétante, la forme jaillit de son antre des brouillards et sauta sur le brigand en prise avec le pavé les griffes en avant avec un cri étrange. On ne put voir que des yeux immenses et terrifiants luire dans le noir, notre mage transformé venait de déclencher l'invocation secondaire draconienne et un maki, lémurien surnommé spectre aux doigts crochus avait assailli la première personne venue. Ces ongles longs qui n'étaient à la base que des outils pour forer dans les noix était aussi des armes de premier choix qu'Itaav avait su repérer. Désormais, l'animal simiesque s'accrochait au brigand forant des trous dans sa chair au moyen de ses ongles effilés. Puis, comble de perversion, Vaati lança à sa créature :

Occuli ! Fodica occulos !

Le lémurien ne se fit point attendre, il escalada le bandit et d'un geste sournois et brusque enfonça ses ongles au coeur des yeux du brigand. Le cri qui s'échappa fut terrible et deux poches visqueuses tombèrent au sol dans un bruit mou tandis que le lémurien quittait le corps aveugle. Nitneroc Itaav partit d'un sourire sadique, d'un rictus satanique qui vira en un rire contenu et finalement en une succession glaciale de secousse, une saccade machiavélique, Itaav riait aux éclats !

Le petit lémurien avait profité de l'effet de surprise pour arracher avec ses griffes les yeux d'un des hommes qui tombèrent au sol, laissant échapper à Itaav un rire terrifiant qui résonna dans les rues sombres de la ville et un cri horrible à la malheureuse victime de l'éborgnation. Les trois autres hommes n'étaient pas très braves et savait bien que Vaati n'avait pas assez d'argent pour qu'ils y risquent leurs yeux, il s'enfuirent à toutes jambes.

Le rire raisonnait, les bandits attendaient tétanisés et voyait toujours leur camarade à terre avec ces deux orbites vides, un néant tellement effrayant que la phobie des mages leur prit soudain les jambes, la tête puis tout le corps et il s'enfuirent d'un bon ayant renoncé à l'éventuelle richesse de notre mage. Un froid glacial s'était installé dans cette rue où même les chats du quartier avaient fuit devant l'ampleur de la vengeance. Cependant, Itaav ne comptait pas s'arrêter en si bon chemin et lorsque les brigands furent définitivement hors de portée, il commença à regarder autour de lui, puis, il prit sur lui dans sa fureur de continuer sur la route qu'il avait commencé à suivre vers la plage et serra les poings avec ferveur. Il passa devant une échoppe vide et lança un coup de pied rageur dedans ce qui la fit s'écrouler de moitié sur la route déversant au sol des paniers vides en osier. puis, il jeta un coup d'oeil sur la place où il venait d'arriver. Aux fenêtres se trouvaient des chats de gouttières ainsi que quelques vêtements qui séchaient au coeur de la nuit. Il n'y avait que peu de lumière et les gens dormaient encore tandis que, sur le sol pavé, de légères gouttes de pluies s'écrasaient dans un silence morne. Itaav déjà trempé baissa la tête pour regarder ne serait-ce que le sol et releva ses yeux, Vaati était de retour. La rage avait laissé place à la bête mais maintenant, le magicien studieux et peu violent revenait d'entre les méandres de la pensée et de l'esprit. En reprenant possession de ces attributs initiaux, notre mage regarda dans la rue d'où il venait où le borgne gisait aux côtés de ces deux globes poisseux.

Diantre, mais qu'ai-je donc fait ?

Le mage repensa à sa soudaine mutation puis soudain il lui vint à l'esprit qu'il avait totalement délaissé et mis de côté une personne dans cette histoire. Vaati était revenu peu de temps, la colère revint avec une force décuplée et Itaav réapparut sur la place. Il courut alors vers une ruelle et pesta tout en criant :

Marcus, maudit sois-tu ? Où te caches-tu, est-ce toi qui m'a envoyé ces monstres sans âmes ? ! Montre-toi ! Caedo ut minum quem tu fecisses !

La seule réponse qui vint troubler le silence de la nuit fût le cri d'un corbeau imprudent, perché en haut d'une cheminée.

C'était donc ainsi, Marcus s'était enfui ou avait déserté devant les brigands, c'était un lâche, un simple pédant attristé par sa situation qui détroussait les riches par la force. En Vaati il avait vu une proie de choix, un excellent cru qui pourtant s'avérait funeste, le vin était gâché par le poison, l'armoise amère de la haine qu'Itaav avait su exploiter. Les ténèbres de la place, le corbeau poussant son lugubre cri et le soleil tardant à se lever, tel était le lot d'Itaav ce jour là, un jour chargé des plus mauvais présages, la peste arrivait, la peste frappait, mais elle ne repartait pas, elle s'étalait sur la ville, plus avant, des bas-fonds jusqu'aux résidences luxueuses, du siège Imalien à la taverne des Trois Ecus. La vie était bien fragile devant tant de désespoir et de maladies infectieuses, contagieuses et mortelles. D'ailleurs, la maladie était apparue avant l'Homme, elle était plus coriace et plus puissante que lui, et elle serait là après lui car elle résistait. Pour la peste, c'était encore plus particulier, elle avait besoin de l'hôte puis de l'Homme pour effectuer son douteux office, et les prémices de la maladies montraient bien à quel point la peste maîtrisait l'Homme et non point l'inverse. Il fut un temps où les médecins trouvaient des remèdes contre la maladie, mais lorsque les médecins eux-mêmes succombaient à l'attaque sournoise de l'infection, il n'y avait plus personne pour trouver les antibiotiques, il n'y avait plus que quelques victimes qui s'acharnait à survivre derrière les murailles. Les murailles de la peur tout d'abord, celle d'être frappé, puis les murailles de son esprit qui cédait de plus en plus à la folie et à la souffrance. Venait ensuite la muraille de l'âme que l'on croyait inaccessible et que beaucoup craignait de voir détruite, soit par superstition soit par foi véritable. Il restait enfin la quatrième muraille, la plus matérielle et la plus solide malheureusement, les murs de la ville.

Itaav ne pouvait se résoudre à perdre un éventuel passeur, il fallait qu'il le retrouve, qu'il le fasse sortir, une promesse non tenue équivalait à une mort douloureuse; tant que l'esprit d'Itaav n'était pas apaisé, Vaati ne pouvait refaire surface. C'est dans un élan d'ire immense que notre mage courut alors à travers la place vers le port et la plage où Marcus était censé avoir pris place en l'attendant. S'il y était, Itaav perdrait sûrement cette colère, si en revanche aucune trace du gentleman ne s'y trouvait, nul ne pouvait savoir ce qui allait advenir...

[Fin du RP dans les rues de la ville, je me rends sur le port et la plage !]

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